vendredi 25 mai 2018

Aki Kuroda "Cosmogarden"



Galerie Depardieu, Nice, jusqu'au 16 juin 2018


Oh de la peinture! Le choc d'une plénitude qui se répand dans un poudroiement de couleur, les traits nerveux qui la cisaillent ou la caressent Et l'on plaint alors ces cuistres et autres Trissotin qui se glorifient de la mépriser parce que leur regard ne s'est jamais dessillé, que leur pensée n'a jamais franchi les frontières du quotidien.... Il leur manquait cette culture qui depuis des millénaires traverse la vie sous les apparences de l'art....
Que ceux-ci pourtant se précipitent à la Galerie Depardieu pour y contempler l’œuvre d'Aki Kuroda. Ils y expérimenteront cette traversée du temps quand les mythes se façonnent à mi-chemin entre le réel et l'imaginaire. Quand ceux-ci se cristallisent en signes et se drapent de couleur pour définir des espaces inédits. « Cosmogarden », puisque tel est le titre de l'exposition, est l'espace singulier de ces errances multiples qui déchirent le réel, nous transportent des jardins vers les astres pour essaimer ces traces qu'on appelle œuvres d'art.
L'univers d'Aki Kuroda diffuse cette magie d'objets incertains, mouvants, qui se seraient déposés sur la toile ou la feuille de papier comme des stèles, des aérolithes, des fragments végétaux, des ombres humaines, tout cela en constante métamorphose. Chaque œuvre témoigne alors de la capture d'un instant, d'un état des choses quand la magie s'en empare et les restitue dans leur éternité paisible. Ou, à l'inverse, la violence saisit le ciel, les fleurs se tendent et explosent, les hommes surgissent comme des déchirures, l'univers s'échoue dans une abstraction ténébreuse.
Faut-il dire que cette œuvre est d’une intense poésie tant elle est rétive à toute définition ? Elle défie tous les adjectifs, tour à tour austère, sèche, drôle, vivace, brillante, limpide, humble, orgueilleuse, hiératique, évidente, profonde... La poésie sera toujours cet impossible des mots. Aki Kuroda traduit cette poésie en peinture et c'est un envoûtement.



lundi 7 mai 2018

Marc Charvolen, "Déplacements"

Galerie Depardieu,  Nice,  du 3 au 19 mai 2018




Il y a toujours ce temps de l’œuvre qui ne se confronte qu'au désir d'exister et ne se charge que de la syntaxe dont elle hérite avant même de savoir comment elle dira le monde. C'est ce balbutiement qui s'empare alors de ce qui n'est encore qu'une nudité et que l'architecte écrit par volumes, forces de tension, espaces en coupe et en plan de masses ou de niveau. De la troisième à la deuxième dimension, le peintre, lui, usera d'un autre lexique mais se heurtera pareillement à ce vide qu'il lui faudra organiser et dont l’œuvre, d'une façon ou d'une autre, renverra l'écho.

Tout ne serait donc, pour reprendre le titre de l'exposition de Marc Charvolen, que « Déplacements ».
 C'est à dire mouvement, rythme sériel, modulation,  bref tout ce qui viendrait contrarier l'architecture d'une œuvre qui revendique pourtant avec force son assise, son rapport intime au mur qui la soutient. On comprend alors que Charvolen est avant tout un peintre, que son vocabulaire se charge de toiles et de couleurs, que sa grammaire soit celle d'un assemblage de découpes, de lignes, d'agencements et de recouvrements. Mais le peintre reste hanté par la figure et sa représentation et il lui faut alors bâtir et peindre la source de celle-ci avant même qu'elle ne se formule. Marc Charvolen saisit cet instant. Ou, plus exactement, il en énonce les phases constitutives, les propriétés contradictoires, la diversité des protocoles. Il révèle des tensions, des hypothèses, des fragmentations au moment où l’œuvre est sur le point d'apparaître.
Sans doute est-ce cette fragilité, cette mouvance architecturale et colorée, cette lutte avec ce qui pourrait devenir un bâti, un objet fini, une "représentation",  qui définit le mieux le travail de Marc Charvolen. Le découpage de tissus et de toiles se déploie alors  dans un espace qui s'organise de façon rythmique et ne se résout jamais à se clore dans une œuvre. Celle-ci demeure en extension, elle se mesure avec son environnement dont elle devient aussi l'écriture. Les fragments sont collés, s'imprègnent de pigments mais la couleur semble prise dans la matière ; elle ne se dérobe pas à elle. Rétive à toute expression, elle ne parle que de ses origines et de ce qui la constitue.
Epingler, coudre, en découdre. Ces verbes sont en eux-mêmes comme les traces matérielles de ce processus. Il ne s'agit jamais alors d'apparence et de représentation mais plutôt d'une volonté de démasquer dans la peinture ce qui serait de l'ordre de ce ce désir. Personne ne songerait à parler de Charvolen comme un poète. Et pourtant...