vendredi 22 septembre 2017

Un regard, une oeuvre: Olivier Gredzinski





Réalisé par Olivier Gredzinski durant l'été à Beyrouth, le tableau de très grand format est exécuté sur de la toile de matelas en damas, de celle que des générations de libanais ont connue pour s'y être couchés. Cauchemars de la guerre et rêves de héros se sont ici entrelacés et murmurent désormais l'innocence, la naïveté, les espérances et tous ces souvenirs où la réalité se confond dans l'imaginaire. La peinture est bien cet interstice dans lequel le réel se façonne autrement ; elle est l'antichambre d'une pensée qui s'élabore et fouille l'avenir par ses coulures, son éclairage un peu louche qui fait vaciller toute certitude. Elle est cette proposition qui n'impose rien d'autre que l'hypothèse d'un regard et d'une lumière.
Ici le héros est factice. Désincarné tel un personnage de BD, il tire un coup de feu sur une forme qui s’apparenterait à une fleur. Mais le fond est-il jamais identifiable ? Ce qui est figuré se réduit donc à ce faux semblant, à ce rêve qui n'échouera que sur un réveil douloureux. En réalité, c'est plutôt dans ce fond de la toile, avec une abstraction feinte, des signes informels et des faux semblants que le drame se noue. Et ce qui importe ce n'est pas tant ce qui est donné à voir que cette dramaturgie même de la peinture avec ses coulures qui font tache sur ce que la scène devrait raconter. L’exubérance de la couleur, le renversement des formes dénoncent la narration. C'est ici l'histoire de ce mensonge, ou de ce hiatus, ou de cette incommunicabilité entre le monde et celui qui, d'une manière ou d'une autre, s'essaie à s'en emparer. Le tableau nous contraint à cette torsion qui est la nôtre quand l'on se soumet à ses règles. Ainsi en sommes-nous la cible de laquelle surgira l'éclosion de notre regard. De cette confrontation, nul n'en sortira indemne car si le regard peut tuer, celui que l'artiste propose, promet d'être salvateur.

Michel Gathier

jeudi 21 septembre 2017

Big Brother et moi, et moi, et moi...


 
L’association Artistes en Mouvement présente son 5ème parcours de sculptures et installations Rue Princesse Caroline à Monaco. Cette association fut fondée sur des valeurs d'humanisme et de solidarité et, à ce titre, elle est à l'origine d'un Centre Culturel à Waga, au Burkina Fasso et de bien d'autres actions humanitaires. Son engagement la conduit aujourd'hui à exposer des œuvres qui mettent en relation conflictuelle, mais avec humour et poésie, Big Brother et l'artiste.
« Big Brother is watching you » écrivait George Orwell dans son roman 1984. Mais ici la proposition s’inverse et voici que l'artiste regarde à son tour le monstre froid, qu'il l'exhibe dans son ubiquité tentaculaire et en extirpe les multiples apparences. Big data, internet, téléphonie, télévision, autant de vecteurs d'un contrôle invisible que l'artiste nous donne pourtant à voir dans une multiplicité de signes matériels tellement ancrés dans nos habitudes quotidiennes que nous ne les percevons plus. L'information généralisée et globalisée, si comme tout savoir, peut être la condition d'une culture émancipatrice, elle peut aussi l'absorber dans l'anéantissement de la liberté. C'est cette histoire, dans ses contradictions et sa diversité qui nous est racontée ici. Ainsi Caroline Rivalan érige les ruines calcinées d'un amas d'antennes dont nous avions oublié la diversité des formes. Elles hérissent l' espace sombre d'un champ archéologique qui restera à défricher ou à déchiffrer. Maria Ramos, à l'inverse, joue sur la fragilité et la transparence du réseau semblable à une multitude de toiles d'araignées qui se concentrent sur un triangulaire « œil de la providence » qui renferme un trou de serrure. Le lieu du voyeur est au cœur du contrôle et l'artiste lui-même en est-il exempt ?

Oeuvres de Catarina Aicardi, Maria Amos, DeDomenico, Pascale Dieleman, Do Benracassa, Karen Finkelstein, Galka, Héléna Krajewicz, Alain Lapicoré et Aleksandra Lewicka (AL2), Caroline Rivalan, Rob Rowlands, Franz Stähler.

Rue Princesse Caroline, Monaco, jusqu'au 27 octobre 2017



                                                   "Totem" Caroline Rivalan


                                          
                                              "Neurones" Franz Stähler


                                             "Internet, je t'aime moi non plus" Héléna Krajewicz

vendredi 8 septembre 2017

Marcel Alocco, "Itinéraire 1956-1976"

Galerie Depardieu, Nice




Coudre, en découdre avec les formes et les langages, projeter la couleur ou la tenir corseté sous le signe d'un logo ou les contraintes d'un cache. Traquer le souffle des mots tapis derrière l'image, et toujours couper, découper, déchirer comme si tout ces fragments n'étaient que des écrans pour occulter le monde. Le révéler, tel serait donc le geste de l'artiste ou de celui qui s'engage dans l'aventure du sens, dans ses impasses, ses contresens, bref tout ce qui constitue la vie dans son désordre. Celle qu'il faut ainsi décrire pour tracer un avenir, un flux, un sillage dans lequel art et poésie se confondent.
Construire c'est aussi déconstruire. Marcel Alocco propose un « itinéraire » d’œuvres réalisées entre 1956 et 1976. En phase avec les mouvements qui agitent alors les arts plastiques, il renverse le châssis, le rend à la visibilité. Il dépouille la toile de ce qu'elle prétend dévoiler pour en saisir les doutes, les contradictions qui s'essaiment dans un puzzle qui prend la forme d'un patchwork.
On y retrouvera la rigueur d'une humilité artisanale associée à une réflexion sur l'histoire de la peinture. Des références à l'art classiques se heurtent à des idéogrammes chinois. Puis la peinture devient dessin, découpage. Les mots la bordent ou s'en emparent. Alocco nous convie à ce déplacement des signes, à une transformation toujours en cours qui ne laisse aucun répit à l'élaboration d'une théorie ou d'un système. Ici l'art se donne comme une pratique et l'artiste n'est plus tant celui qui décrit le monde que celui qui expose une pensée.

Du 7 au 30 septembre 2017