jeudi 15 octobre 2015

Max Charvolen, "Frontières et passages"

 Galerie Depardieu, Nice




                       Depuis les réflexions sur la peinture, sa matérialité, ses conventions,  entamées au début des années 70 par les artistes de la mouvance de support-surface, Max Charvolen n’a cessé de poursuivre cette recherche sur les constituants du tableau, les formes et  la couleur. Enrichi par son expérience de l’architecture, il nous livre aujourd’hui une œuvre subtile et spectaculaire tout à la fois, qui ne renie rien de son travail passé mais qui s'enrichit  de nouveaux horizons.

                     Tout prend ici racine sur des bâtiments réels dont certains éléments  ont subi l’empreinte de la toile. Mais celle-ci est découpée, travaillée, collée, cousue, déchirée, comme vouée à une expérimentation permanente de l’espace. Parfois fine, presque simulant des espaces de transparence, quand,ailleurs, elle s’agrège à d’autres fragments de toile, se fige dans des épaisseurs sur lesquelles la  couleur s’imprègne vers des trouées de vide ou bien s’exhale sur les contours. La peinture tient alors  du bas relief avec ses creux, ses volumes, son bâti. Elle joue sur toutes les variations de la structure,  elle se module sur des effets de disparition ou d'apparition quand elle étale ses béances contre le mur ou, au contraire, lorsqu’elle se renforce de cernes sur les bords comme dans l’attente d’une figuration possible.

               « Passages et frontières », tel est le titre de cette exposition qui nous fait circuler dans les entrailles d’une œuvre qui déploient la circulation des formes et des couleurs. Canalisées par des frontières mouvantes, incertaines, qui se cherchent  dans l’espace. Baveuses, évanescentes ou lourdement soulignées sur ses bords, celles-ci ne livrent rien d’autre que les différentes modalités de leur possible. C’est à cette analyse minutieuse et superbement structurée que se livre l’artiste en jouant sur toutes les gammes de la rigueur, sans jamais sombrer dans une esthétisation factice ou dans la tentation narrative. Un travail fait d’équilibre et d’obstination qui laisse toute sa part à l’intelligence: Une belle méditation, très méthodique, sur les contours d'une peinture qui n'a pas dit son dernier mot.









mardi 6 octobre 2015

Ibai Hernandorena

Villa Arson, Nice "L'après-midi" avec Julien Dubuisson, Lidwine Prolonge et Jean-Charles de Quillacq.








          Sans qu’on y prenne garde, la contemplation d’une œuvre d’art relève d’une attitude corporelle, de déplacements physiques  qui se mêlent  à une expérience temporelle vécue sous le signe de l’opposition entre immobilité  et vitesse. On ne saurait aborder le travail d’Ibai Hernandoreva  sans recourir à cette perturbation  de l’objet final à l'instant où il se confronte à la dynamique d’un regard. En effet, la photographie, la vidéo, la peinture, l’installation, tout, puisque les moyens convoqués résonnent ici de concert, renvoie à ce trouble de l’image qui résulte d’une architecture incertaine, mouvante, où le corps n’est jamais absent  sans être jamais visible. L’œil bouge et l’œuvre résulte ainsi d’un mouvement. La cible demeure ce réel qui se manifeste à l'instant même où il se dérobe...



          A l'évidence Ibai  Hernandoreva joue du grand écart entre la gestation  d’une forme et de ce que celle-ci  donne à  représenter. Dans « Carénage », l’artiste crée  en relief l’incarnation vide d’un corps saisi dans la vitesse d’une moto. Sculpture en creux comme méditation sur  le réel toujours aux lisières de sa disparition. Le réel est désigné ici comme une empreinte de résine, l’enveloppe fugace d’une peau semblable à une chrysalide qui aurait contenu la matérialité de la vitesse. Dans « le rêveur », photo et vidéo se superposent dans un relief subtil où les modulations  à peine perceptibles  du feuillage ponctuent l’image comme pour mettre en réserve la réalité de celle-ci. C’est encore l’assemblage, l’architecture qui structurent cette scène onirique qui tâtonne entre l'hyper réalisme  et l'illustration du faux. Illusion, artifice se déclinent quand le réel se dérobe par des jeux de décalage, de saturation des couleurs ou, au contraire, se désigne par l'effacement , les cartes postales et les papiers carbonisées...

           Le réel c'est aussi ce qui baille entre la nature et l'architecture, cette présence précaire des lignes et des structures qui perdent toute réalité propre quand elles n'existent que par le jeu de l'exposition comme en témoignent les éléments architecturaux empruntés à Jean Prouvé et qui sont disposés comme des tableaux...
             Rares sont les artistes qui dans la diversité des formes et des techniques employées  parviennent à exprimer cette relation conflictuelle entre le monde et sa représentation. Ibai Hernandoreva nous en restitue l'image troublante et fragile d'un univers qui oscille entre la rigueur et une réflexion poétique sur les relations de l'art et du réel.










Communiqué de presse:

Cette exposition est un temps de restitution/confrontation des expériences autant individuelles que collectives de quatre artistes résidents à la Villa Arson, dans le cadre du programme de troisième cycle 5/7 Pratique | Production | Exposition.Mathieu Mercier, artiste et commissaire invité, met en lumière l'originalité propre de chacun, tout en tirant les fils qui les ont rapprochés tout au long de leur aventure commune de deux années. Chacun des artistes entretient notamment un rapport particulier à l'histoire, qu'il soit généalogique, culturel ou fictionnel. C'est ainsi que leurs œuvres rejouent souvent des épisodes de la modernité dans le contexte contemporain.

 En plus d’évoquer les idées souvent heureuses et parfois mélancoliques que l’on associe au mot d’«après-midi», les artistes ont voulu situer géographiquement leur travail dans ce midi de la France auquel appartient la ville de Nice et temporellement dans l’après que le troisième cycle de la Villa Arson représente pour leurs études et pour leur carrière.

 C’est ainsi qu’ils ont participé durant deux ans à un programme de recherche et de production intitulé 5/7, créé en 2013 et codirigé par Pascal Pinaud et Joseph Mouton, respectivement artiste et poète, tous deux professeurs à la Villa Arson. Durant leur longue résidence, ils ont pu profiter des infrastructures de l’école et du centre d’art comme de l’expertise des intervenants invités ad hoc.

L’après-midi constitue l’aboutissement de leur travail en atelier, nourri aussi de voyages, d’accointances locales et de l’amicale fréquentation qui les a eux-mêmes rapprochés dans l’enceinte de la Villa. Artiste et commissaire invité, Mathieu Mercier a accompagné leur aventure et conçu avec eux une exposition qui, respectant avant tout chaque individualité artistique, montre aussi le terrain commun de leur confrontation.

 Il se trouve que tous les quatre s’intéressent explicitement à l’époque de la modernité : elle représente l’Histoire et un réservoir d’histoires pour eux qui, ayant grandi dans l’ère du postmoderne et de ses séquelles, forment la génération d’après.

 Né en 1978, Julien Dubuisson expose un travail de sculpture et de sculpture installation ; né en 1975, Ibai Hernandorena manifeste son intérêt pour l’architecture à travers divers médiums ; née en 1977, Lidwine Prolonge travaille entre performances, événements et archives ; né en 1979, Jean-Charles de Quillacq accompagne ses sculptures de photos de famille et autres légendes. L'APRÈS-MIDI Julien Dubuisson, Ibai Hernandorena, Lidwine Prolonge et Jean-Charles de Quillacq
 Commissariat : Mathieu Mercier