vendredi 14 avril 2017

Caroline Bouissou, "Plein soleil"

 


-Galerie le 22, Nice
                            -Roseraie du jardin du Monastère de Cimiez, Nice


 Une mémoire se forge au fur et à mesure que des sensations s’imprègnent en nous ou s'imposent dans un espace donné. Mais la mémoire est ondulatoire, fuyante et ne se résout à aucun cadre. De l'ordre du temps, elle se défie autant de l'espace qu'elle érode linéarité et pourtours, qu'elle malmène toute idée de forme même si elle ne cesse de balbutier des images. Infidèle de nature ou, pour citer le titre d'un poème de Jules Supervielle , « Oublieuse mémoire », elle s'ouvre à toutes les fables, elle est créatrice de mythes.
Difficile pour un plasticien de s'emparer de l'idée de mémoire sauf à la réduire à une exploration du passé. Caroline Bouissou joue sur un tout autre registre. La mémoire est un processus de connaissance et de reconnaissance qui défigure en même temps qu'il propose une hypothèse de figuration nouvelle. Comme écho déformé d'une réalité, elle est une fiction qui s'énonce dans un récit déconstruit. Aussi faut-il à l'artiste, multiplier mediums et supports, mêler humour et rêverie, science et poésie pour installer ce qui serait un lieu expérimental où se déclineraient les diverses potentialités de cette mémoire.
Qui ne connaît la Joconde ? Tout le monde possède la mémoire de cette peinture, pourtant chacun la restituera autrement. Caroline Bouissou demande à des gens de la dessiner de mémoire et chacun propose une image unique et déformée qui en dit davantage sur le regardeur que sur Mona Lisa. Ailleurs elle reprend cette même icône sur des dessins numériques réalisés à partir du mouvement de l'observation de l’œil de plusieurs regardeurs qui se confrontent à la réalité de l'image. Ainsi sommes-nous interrogés sur la réalité de l'image, son origine, sa fiabilité, son apparition et sa disparition. Et l'artiste ne peut être seule dans ce champ d'expérimentation.
L'exposition de la Galerie 22 s'intitule « Plein soleil ». Titre paradoxal quand on sait combien le soleil éclaire autant qu'il aveugle. Et cette Joconde ne serait-elle pas l'ombre de Jocaste quand Antigone guide Oedipe dans sa nuit ? Dans le poème de Supervielle précité se trouve ce vers :  « Pâle soleil d’oubli, lune de la mémoire . »  Il résonne d'autant plus ici que l'idée d'un soleil se découpe sur du grès en éléments mythologiques semblables à des runes ou à d'autres symboles renvoyant à ceux d'une civilisations hypothétique. Les pierres gravées de signes, qu'on suppose solaires, simulent une mémoire aux prises d'une expédition archéologique et les caisses qui les enferment ou leur servent de socle, sont comme les accessoires d'un film d'Indiana Jones. De l'humour, de la fantaisie et de l'image sur l'image...
Ailleurs, dans la roseraie du jardin du Monastère de Cimiez, Caroline Bouissou s'empare de nouveau de signes qui évoquent des rosaces et parfois des éléments de moucharabieh. "Observatoire", cette sculpture cinétique blanche modèle le lieu, joue sur les gammes de la transparence, crée des variations de lumières. Mais pour un monastère, on peut-y voir aussi l'image d'un claustra, d'une fenêtre alvéolée qui délimite l'intériorité et un extérieur quand cette frontière serait aussi un lieu de passage pour la lumière et l'illumination d'un jardin.

M.G









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