mercredi 26 octobre 2016

Benjamin Sabatier, "Mode d'emploi".

Galerie Catherine Issert, Saint-Paul


             Ici l'oeuvre se met à nu, exhibe sans complexe sa crudité et l'évidence de ses formes. Elle ne dévoile rien d'autre, dans sa lisibilité extrême, que ce qu'elle contient et que ce qui se rapporte à notre regard. C'est à dire ce qui nous permet de mesurer les choses à l'aune de nos codes culturels, de les accepter ou de les rejeter en fonction de ceux-ci. Or Benjamin Sabatier joue ici  de références minimalistes, pauvres, qui rappellent l'architecture brutaliste avec tout ce qu'elle peut impliquer à la fois de refus "esthétique"  pour certains et de conception  sociologique et progressiste pour d'autres.
              Cette pauvreté des matériaux, cette approche modeste et généreuse de l'art nous incitent à formater notre regard autrement, à le construire sur ce qu'il y a de plus humble.
              Je me permets ici de reproduire le très beau texte d'Isabelle de Maison Rouge sur cette exposition visible jusqu'au 29 novembre 2016:

"Le titre de la première exposition personnelle de Benjamin Sabatier à la galerie Catherine Issert révèle tout un programme en soi. Il renvoie à la technique de fabrication, au cahier des charges, au système de montage, voire même à une manière d’employer son temps. De manière très pragmatique, un mode d’emploi est un document qui explique la forme particulière de construction d’un objet ou de fonctionnement d’un service. De manière programmatique, la notice annonce le protocole auquel il va falloir se soumettre. Aussi, dès le départ nous savons à quoi nous en tenir : l’artiste nous invite à une réflexion sur la forme autant que sur le processus qui l’a fait naître. Il soulève des interrogations qui ont trait autant à l’art et son champ opératoire qu’à la liberté de l’artiste vis-à-vis du travail technique (ou socialement utile).

 La pratique de Benjamin Sabatier relève de la praxis. Il aime partir de la découverte tactile des propriétés des matériaux et apprendre d’eux. Son postulat s’appuie sur le contact direct avec la matière pour développer la faculté de percevoir. Par son travail, l’artiste nous incite à nous interroger sur les notions du faire et du savoir-faire. L’expérimentation, l’assemblage et l’auto-construction, toujours au coeur de ses réflexions, le porte du côté des utopies émancipatrices et de l’engagement – par exemple le mouvement Do It Yourself ; dans le même temps, les formes qu’il déploie rejouent les grands questionnements de la sculpture moderne, allant du constructivisme à l’arte povera.

Entre tension physique et équilibre précaire, réels ou fictifs, les oeuvres de Benjamin Sabatier n’en demeurent pas moins sensuelles. Les matériaux qu’il réunit, le bois et le béton, se trouvent ici dans l’obligation de lutter ou de s’associer. Le premier se situe du côté du chaud, du structuré, du naturel, du vivant alors que le second se positionne dans le froid, le liquide, l’aléatoire et le minéral. Dans ces dualités, chacun possède sa rudesse et sa douceur.

 Le vocabulaire formel de Sabatier, par métaphore, tient également du champ lexical du chantier. Celui-ci convoque une certaine image du monde et traduit une dynamique plastique, une esthétique en mouvance. Communémenle chantier indique non pas un ouvrage achevé mais un travail en cours d’élaboration. En art, la locution «Work in progress» (chantier en cours) est employée pour qualifier un projet présenté pendant le temps de son exécution. C’est une notion qui rend visible le processus. Comme le rappelle l’aphorisme de Paul Klee placée en tête du livre La Vie mode d’emploi de George Perec : « L’oeil suit les chemins qui lui ont été ménagés dans l’oeuvre ». Le parcours emprunté par l’artiste est rendu visible dans le résultat plastique : il révèle l’effort, l’élaboration et la mise en forme. Il parle de la mécanique du faire (et du défaire), du construire (et du déconstruire). Semblable enfin à l’ambition du personnage de Bartlebooth dans le livre de Pérec, dont le projet se détruirait lui-même au fur et à mesure qu’il s’accomplirait, il s’agirait pour l’artiste, face à l’inextricable incohérence du monde, d’accomplir jusqu’au bout un programme, restreint sans doute, mais entier, intact, irréductible. Un manifeste en soi."
Isabelle de Maison Rouge, 2016

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